À travers des contributions de diverses disciplines, cette enquête montre très concrètement que la puissance heuristique de la narration est un levier indispensable à toute pratique de l’argumentation. Elle montre aussi que si les deux registres concourent ensemble à une rationalité pleinement incarnée, ils ne se confondent jamais totalement. Lire la suite
Au cœur de la modernité, il serait vain de discuter le fait que l’argumentation et la narration relèvent de deux registres de discours bien distincts. D’un côté, la narration a pour fonction de représenter des événements, de donner du sens à une situation, de construire un récit auquel une communauté ou un individu peut s’identifier. Ainsi, la narration aurait pour visée première, essentielle, de donner du sens au monde, individuellement ou collectivement. D’un autre côté, l’argumentation est reconnue comme une fonction supérieure du langage, dont la visée complexe est de convaincre ou de persuader autrui, et cela, le plus souvent, en vue de lui faire prendre une décision. Pourtant, au-delà de cette distinction essentielle, les traditions philosophiques, linguistiques mais aussi psychologiques ou juridiques, n’ont jamais manqué d’observer des liens, des interactions et même parfois des rapprochements spectaculaires entre narration et argumentation. Questionner ces liens revient essentiellement à réévaluer notre vision de la rationalité, mise en œuvre par la parole publique. Au-delà d’un clivage figé et, pour tout dire, artificiel entre raison logique et émotions romantiques, se trouve manifestée une raison rhétorique qui sait mettre en récit ses arguments et incarner ses décisions dans l’expérience humaine.