Où faut-il donc chercher Rousseau ? Peut-être en ces pages qui, rassemblant dix-sept études réalisées par de chercheurs de toutes générations, spécialités et nationalités, font l’audacieux pari que la richesse encyclopédique et la complémentarité des approches vouées à Rousseau ne sont guère de vaines promesses. Lire la suite
Si tout au long de l'année 2012, les fastes de la célébration auront pu donner de la critique rousseauiste l’image d’une discipline riche et variée, prospérant avec éclat et virtuosité, cette efflorescence du tricentenaire de la naissance de Jean-Jacques Rousseau (1712-2012) peine à masquer la crise et les divergences parfois violentes qui la traversent. Celles-ci n’auraient guère d’importance, si, entre autres enjeux cruciaux, elles ne touchaient Rousseau lui-même, ainsi que la compréhension que nous pouvons avoir de son œuvre.
Jadis guidée par la seule volonté de faire progresser la connaissance du Citoyen de Genève, l’inflation des études qui lui sont vouées n’est désormais plus dictée par de seuls motifs scientifiques, mais aussi par une concurrence tacite entre les tenants d’approches vues comme radicalement différentes, tendant à restituer Rousseau à l’intégrité de son texte selon les exigences de la philologie traditionnelle ; à le penser sous un angle historique voué à l’émergence de l’œuvre en son siècle, à sa réception et à ses travestissements posthumes ; ou, au contraire, à l’interpréter dans une visée purement conceptuelle et spéculative tentant de l’unifier et d’en assurer la compatibilité avec des idéologies et courants de pensée ultérieurs, dont les ramifications se prolongent jusqu’à notre temps.
Longtemps opacifiées par la variété de leurs manifestations, à l’image d’une œuvre polygraphique abordant de front la philosophie politique, la pédagogie, la musique, la botanique, la chimie, la cosmographie, l’histoire, mais aussi le théâtre, le roman et l’autobiographie, ces divergences se sont incarnées, à l’heure du tricentenaire, en autant de projets rivaux, manifestant chez chacun le désir de s’approprier, de domestiquer, d’inféoder Rousseau à une lecture, une approche, une méthode ou une discipline uniques.
Ce désir, qui trouve ses sources dans le rapport particulier instauré par Rousseau entre lui et ses lecteurs (l’espoir de voir une génération de lecteurs plus justes réhabiliter sa mémoire), se traduit au sein même de la critique par l’adoption de postures caractéristiques, par une certaine poétique inspirée de l’œuvre qu’elle est supposée élucider, ainsi que par la multiplication panique de publications cherchant, par le nombre, à asseoir une autorité sur le corpus, à minoriser ou discréditer toute dissidence, et à se faire enfin le maître et défenseur de la pensée qu’initialement on ne cherchait qu’à comprendre.
Depuis leur lancement en 1974, les Études sur le XVIIIe siècle n’avaient pas encore consacré un volume complet de leur prestigieuse collection à l’œuvre, à la vie et aux idées de Jean-Jacques Rousseau. Par cette publication, elles rendent enfin au Citoyen le plus subtil des hommages : celui qui dénonce l’autocélébration aveuglée de ses lecteurs, pour revenir, en toute simplicité et sans fastes, à lui seul.