La guerre froide n'est pas qu'un bras de fer entre deux puissances politiques qui mesurent leurs capacités militaire, nucléaire, technologique et scientifique. S'y joue également une lutte pour gagner un pouvoir d’influence culturel beaucoup plus large et profond. Lire la suite
Les deux blocs prétendent, notamment, défendre et incarner les normes de genre et de sexualité les plus justes et les
plus en phase avec le « vrai » bonheur et l'harmonie amoureuse, ferments indispensables d'une société en bonne santé. Pour ce faire, ils puisent tous les deux dans les savoirs de la sexologie, alors en plein bouleversement. L'époque est en effet marquée par le développement de machines dont on attend qu’elles mesurent les performances sexuelles. Les progrès de l’imagerie médicale laissent croire en un avenir où tous les aspects du corps humain seront visibles et, donc, soignables (voir la photo de couverture : le psychiatre W. Reich à la recherche d’une force vitale universelle).
Les études ici rassemblées montrent que, dans le domaine de la sexologie, le rideau qui sépare l’est et l’ouest était pour le moins déchiré, pour reprendre le titre d’un film d’Alfred Hitchcock qui traite d’espionnage scientifique. Les scientifiques, justement, et leurs théories sur la sexualité circulent d’autant mieux que l’un comme l’autre bloc partagent des valeurs communes de valorisation de la famille traditionnelle et de hantise de l’homosexualité. Des deux côtés, les sexologues, alors en voie de professionnalisation, tentent d’élaborer une expertise congruente avec le supposé savoir scientifique, le vécu raconté par leurs patient·es, les directives du régime dont ils dépendent et une société progressivement conquise par le discours de la « révolution sexuelle ». Entre conservation et subversion, ils soufflent ainsi le chaud et le froid sur les représentations de la sexualité.
Introduction. La sexologie à l'heure de la guerre froide
Sylvie Chaperon, Carla Nagels et Cécile Vanderpelen-Diagre
Première partie - De la guerre à la guerre froide
L'homosexualité internationalisée. Politiques pénales, débats transnationaux et échanges transatlantiques
à Interpol, l'OMS et l’ONU pendant les années 1950 | Wannes Dupont
Psychanalyse pendant la guerre froide. Politiques sexuelles et christianisation de la « science juive » | Dagmar Herzog
Deuxième partie - Vents d’est, vents d’ouest
Les Kinsey des deux Allemagnes : recherche empirique en sexologie, enquêtes sur la sexualité et normalisation de la sexualité de la jeunesse pendant la guerre froide | Lutz Sauerteig
Science et politique pendant la guerre froide : la sexologie dans la Roumanie communiste | Luciana M. Jinga
La guerre de mouvement des catholiques. Les Colloques internationaux de sexologie de Louvain (1959-1974) | Cécile Vanderpelen-Diagre
Troisième partie - De la guerre froide à la détente
« Ce n’est pas une prime à la liberté sexuelle ». Le planning au service du modèle familial traditionnel (1955-1970) |Taline Garibian
« Le droit de cité » : sexologie, homosexualité et discours des droits de la personne dans la Pologne socialiste des années 1970 | Agnieszka Kościańska
La sex research : émergence, développement et éclatement d’une communauté épistémique | Alain Giami
Biographies
Entrevue